N’enterrez pas trop vite le libre accès

2023-12-10

https://scholarlykitchen.sspnet.org/2023/12/07/where-did-the-open-access-movement-go-wrong-an-interview-with-richard-poynder/

Richard Poynder, un partisan historique du mouvement en faveur du libre accès aux publications scientifiques (open access, OA), claque la porte : selon lui, le mouvement OA est un échec. Il dénonce le fait que les éditeurs classiques aient détourné le mouvement à leur avantage avec le modèle de l’ouverture par les frais de publication (article processing charges, APC), et que le mouvement ait échoué à réduire les coûts de l’information et à créer un système plus équitable.

Dans les commentaires de ce billet, un autre partisan historique, Jean-Claude Guédon, apporte un contre-point essentiel. Il rappelle que l’idée de baisser les coûts vient des bibliothécaires, qui se sont largement leurrés sur ce point, quand les scientifiques étaient plus réalistes : évincer des éditeurs comme Springer et Elsevier ne se fera pas en un jour, ni en vingt ans. Guédon souligne également que l’équité a toujours été un angle mort de certains partisans du mouvement OA, y compris Poynder, qui décrète un peu vite l’échec de ce mouvement en passant sous silence ce qui se passe en Amérique latine notamment.

Précision importante (que fait également Guédon dans son commentaire) : cette interview est publiée dans Scholarly Kitchen, blog officiel d’une association d’éditeurs commerciaux, qui a longtemps hébergé les critiques les plus virulentes du lobby anti-OA… Personnellement, je continue à suivre ce blog, car il faut toujours savoir ce qui se passe des deux côtés d’un débat.

Guédon écrit :

“Yes OA has failed to deliver on a number of points, but this is just the result of individual battles, and the war is yet to be won. […] Some people, like Poynder, will drop out of the movement, but that is to be expected. Meanwhile, the ranks of people pushing for Open Access (and Open Science) nowadays are growing, and growing all over the world. And the world of scientific publishing is bound to change radically in the coming century.”« Certes, le mouvement OA a échoué sur un certain nombre de points mais qui relèvent de batailles spécifiques ; la guerre, elle, n’est pas encore terminée. […] Certains, comme Poynder, abandonneront le mouvement, mais il faut s’y attendre. En attendant, le nombre de personnes qui militent aujourd’hui en faveur du libre accès (et de la science ouverte) va croissant, et ce dans le monde entier. Et le monde de l’édition scientifique est appelé à changer radicalement au cours du siècle à venir. »

D’où vient ce changement radical ? D’une diversification des pratiques de publication. Guédon :

“Some early OA advocates used to argue that OA had nothing to do with publishing reform (while contradicting themselves by claiming that self-archiving would reveal the house-of-card nature of publishing).”« Certains des premiers défenseurs du mouvement OA affirmaient que l’OA n’était pas un projet de réforme du système de publication dans son ensemble, tout en se contredisant eux-mêmes en affirmant que l’auto-archivage abattrait le château de cartes qu’est l’édition scientifique commerciale. »

J’en parlais dans « Du versionnage des publications scientifiques » : l’expression auto-archivage est trompeuse, car elle laisse entendre qu’un dépôt n’est pas un processus éditorial, qu’une « pré-publication » ou une « version auteur » n’est pas une publication… or c’est bien le cas. Quand on voit que Sorbonne Université se désabonne du Web of Science et de Clarivate pour baser sa bibliométrie sur des outils comme HAL et OpenAlex, on comprend que les « archives ouvertes » sont en fait des espaces de publication comme les autres, et qui secouent considérablement le statu quo de l’édition scientifique.